Texte sur Lost and Found Transfigured

Jean-Marie Donat : le mauvais goût en forme de collection.

Ecce homo (intro)

Une photographie a l’orgueil de croire en sa propre vérité alors qu’elle n’est bien souvent qu’un souvenir-écran. Peu importe qu’elle soit un artefact de vie. Sa légitimité est d’approuver le locuteur dans son interprétation des fragments, des épisodes, des quelques moments choisis d’une existence dont il sait bien que le sens nous échappe.

Bien souvent la photographie est anonyme. Et comme elle n’est plus en état de nommer, elle nous envoie des signes et des signaux désespérés.
Au delà d’une simple iconographie joyeuse et banale, en dépassant la nomenclature des genres, le cliché sans qualités avoue sa faculté intrinsèque à produire de la gravité, du trouble et du dramatique par la simple saisie de gestes apparemment secondaires, considérées, à tort, comme dénuées d’importance.

La collection de Jean-Marie Donat, patiemment constituée, est un exemple rare d’images glanées au quotidien. Les surprises s’y succèdent à un rythme jamais ralenti. Des piles de boîtes s’ordonnent et ordonnent un monde que l’on suppose non dépourvu d’ironie.

Jean-Marie Donat est un faux collectionneur, il est un faux-monnayeur.

She Wolf

La maturité sexuelle chez le berger allemand, mâle ou femelle, est précoce. Elle débute à six mois. Elle se termine à la mort de l’animal. Cette qualité, persévérance et puissance, s’ajoute à ses caractéristiques bien connues que sont la garde, le secours et l’assistance.
Peu d’hommes détiennent simultanément de si belles vertus.

Beauty and the beast

Le fût d’un canon est directement corrélé à la distance et à la précision du tir d’un corps pénétrant et explosant. La présence féminine sur la tige agressive vitalise une machine à l’état encore inactif. Qui ne demande qu’à aller droit au but…

Flamingo

Le mâle occidental appartient à cette race de mammifères, le prédateur, qui ne peut agir sans désigner sa proie.
La jambe pliée, le pied sur le pare-chocs, l’homme pose triomphant sur sa victime. La voiture, la bête, est domptée. L’animal se soumet à l’ordre des puissants. Il se rend à son maître qui n’en peut mais. Le mâle accompli détient une force insoupçonnée, une capacité érotique, faisant de lui un héros du quotidien.
On est au delà de la simple possession. Il ne faut pas s’y tromper, en se rapprochant de sa voiture, le chasseur se fait plus que dompteur, il est un conquérant…

Ventriloquist

Qui est le dupe de qui ? La marionnette, de type « dummy », le ventriloque ou nous ? Dédoublement. Une voix d’enfant profère injures et insanités. On ne sollicite la marionnette que pour cela. Elle n’a d’autre spécificité que la confrontation au langage cru. Tirant gloire de son obscénité, la marionnette tente, sans illusion, de simuler la vie par le retour à notre prime enfance, le stade anal.
Ce que l’on n’entend pas résonne dans la photographie, la présence d’un inconscient qui s’exprime à notre place.

Mayday

Engloutis par la vie, il nous faut conjurer les naufrages. En se saisissant fièrement d’une bouée, en nous y inscrivant, nous attendons faussement sereins, parfois hilares mais inquiets, l’événement-frontière, le passage entre le monde des vivants et le monde des morts.
Avertissement. Il n’y en aura pas de bouées de sauvetage pour tout le monde…
Nb. A l’exception des premières classes…

Baby doll

On se perd en conjectures. Peut-être a-t-on affaire à des filles « attardées », à des femmes sans enfant, ou l’ayant perdu. Voilà ce qu’est une image orpheline. Elle n’a de sens qu’adoptée pour que nous la reconnaissions. Comme ces poupées.

Twins

La gémellité pétrifie de peur ou fascine. Les jumeaux sont soit des dieux soit des monstres. Ils nous paralysent. Métaphore photographique, ils renvoient l’image parfaite du dédoublement, de la reproduction du même, l’illusion absolue de la répétition.
Terreur du double, nous ne voulons rencontrer le nôtre. Il faut à tout prix éviter ce face à face et hurler à la face du monde : « Je suis unique ! ».

Stop

La propriété privée, ce droit imprescriptible des sociétés occidentales, instaure la délimitation des biens. Mais ici qui est le propriétaire ? Le « modèle » féminin ou le preneur de vue ? A qui s’adresse le message-signe ? Cette interdiction de pénétrer, là où l’homme ne devrait rien éprouver, ne dit rien d’autre qu’un puritanisme photographique de façade.
Cut out et The Mystery of eadless lady
Qu’on lui coupe la tête! Le photographe revêt les atours de la dame de coeur. Il raccourcit et rapetisse. L’appareil, comme une guillotine, est une machine à faire sauter les têtes. Ces mécaniques identiques produisent le même effet. Elles offrent une mort instantanée et sans douleur. Le photographe, promu bourreau, sépare le corps de l’âme par la décapitation.
La décollation pense signifier le lieu du moi.
L’ayant trouvé, le photographe le soustrait, le retire, l’arase !

I love me

On ne s’aime pas en général. Quelques-uns, filles et fils orgueilleux et sans mémoire d’Echo et de Narcisse, se mirent et s’admirent. La peinture triche. Elle sacrifie sans vergogne les défauts et les tares. Tous, adeptes de l’élixir de jouvence du bon docteur D. Gray, contemplent leur portrait figé dans un temps sans réalité. Peu importe la qualité de la peinture, elle se veut viatique. Elle n’est que momification.

Rorschach

Le collage paysager, tant désiré par l’opérateur anonyme, n’est rien d’autre qu’une offense à la vision romantique du paysage. L’envers et l’endroit, en fusionnant dans un espace commun, n’offrent aucun recoin, aucune cachette secrète à nos petites perversités et à nos grandes confusions. La répartition inversée, en offrant une vision grotesque du panorama, détruit la culture de l’ensemble harmonieux.

François Cheval