Texte sur la série Christmas Nightmare

L’avoir ou pas ?

1 : L’esprit.
Celui de collection vient au collectionneur par une sournoise imprégnation dont il est sa première victime consentie. Encore qu’il faudrait ici, déterminer quel penchant l’incline à cette obsédante manie actant que l’on soit collectionneur avant même que de posséder une collection digne de ce nom. Pour ma part, je pose que c’est une fracture d’enfance, une frustration tenace, motrice d’une constante convoitise. En cela, au tréfonds de cette collecte, il réside à la fois, de la nostalgie et une perpétuelle envie de s’approprier l’objet, la chose, d’un temps évanoui, à l’alpha d’une somme idéale inaccomplie car jamais une collection ne s’achève – on s’en sépare, on la quitte, pour en entamer une autre ! L’esprit de collection, par essence, ne se nourrit pas de ce que l’on possède mais au contraire de ce que l’on ne possède pas. Le collectionneur se consume, et se consomme, pour la pièce qui lui manque, quand, déjà, son plaisir de détenir reflue stimulé par son inextinguible désir de compléter son assortiment fantasmé, son inatteignable arsenal de rêve. Ce qui n’exclut pas qu’à certains points, il ne puisse estimer qu’il recèle assez pour être contenté. Un agrément tout passager, somme toute, puisque raisonner ainsi, signifierait qu’il soit parvenu au bout de sa tâche mémorielle ; vaine illusion puisque la mémoire nécessite un perpétuel entretien. Retour à la case achat !
Désir, fantasme, possession, nous voici bien, rendu au cœur d’un lexique sexuel où ce bon papa Freud, aurait à coup sûr retrouvé son petit. Hors psychanalyse, à raisonner à ras des étagères, des vitrines et des dossiers triés contenant l’objet, il faut admettre que l’addiction joue sa partition trouée – Or, dixit Gainsbourg, si « l’amour physique est sans issue », de même, au plan mythologique – et concret -, Sisyphe, à rouler sans cesse sa pierre, ne se trouvait pas plus épanoui. Fier, tout au plus, il n’y a pas de collectionneur heureux.

2 : La chose
L’important ce n’est pas ce qu’on trouve, c’est ce qu’on cherche, un adage qui corrobore notre premier pan, introduisant ce par quoi, la collection, se fonde : l’objet, la chose ! D’où provient-il ce goût pour telle ou telle qui dévoilerait ce que le collectionneur gardait celé jusqu’alors au fond de lui ? A ce stade, chacun préserve sa raison qu’il lui plait, parfois, d’avouer. En proue, et je sais que l’argument compulsif prévaut, au moins, il y a une volonté d’engranger, et peut-être, celle de sauvegarder le sournois objet du désir. Plus largement, me semble-t-il, c’est aussi une manière d’écrire, le passé, quand, par substitution, on accorde à l’objet sa part signifiante d’une époque, d’une sensation subtile, bref, qu’on lui prête par le visuel ce que l’on ne peut exprimer à sa place par une construction raisonnée. Des collections, il y en a de tous ordres, de toutes les thématiques, à l’aune d’un goût particulier dérivant au mauvais, ce fameux mauvais goût, le bon goût inversé de l’autre. Quoique à y réfléchir, la chose, l’objet accumulé, mais avant tout sérié, s’exempte de ce distinguo puisque sa beauté sourde jaillit du nombre dans un certain ordre assemblé. Au pire, pour la cerner, les sceptiques se paient de kitsch, ce substantif qu’ils emploient à propos du laid pour s’efforcer de le trouver beau. Par-delà l’érosion, les intempéries fatales et les holocaustes, la chose contenant sa mémoire nargue nos vies bornées, léguant à chaque collectionneur une fonction d’archiviste, fût-ce de l’inutile. A ce titre, les objets qui nous précèdent et nous survivent, sont les probants apanages d’une éternité – relative – à laquelle nous nous attachons, malgré tout, même à part d’un quelconque sentiment religieux. Les enfants insoucieux de la mort bien qu’ils la pressentent au loin, ne s’y trompent pas, premiers activistes sur le front de la possession des objets – vignettes et trophées – rangés dans des albums, sur des étagères. Créer sa trace au recours d’un classement, telle est la vocation de cette fameuse chose de son choix. Partant, il n’y a pas d’objet – de chose – de légende, il n’y a que des légendes que l’on crée autour des objets.

3 : Noel
De toutes les légendes, Noel culmine – légende pérenne dans notre civilisation judéo-chrétienne par laquelle on sait plaindre celle ou celui qui n’y a jamais cru. Dans une existence, force est de reconnaitre que l’on collectionne les Noel comme on aucun autre jour – Noel mémoire, Noel témoin, Noel des familles ! Dans nos vies subordonnées à quatre rituels obligés, quatre clichés reviennent, celui de naissance, de classe, de mariage – s’il y a -, et, inexorablement, de Noel, posé, improvisé, dérobé ; de face, de trois quarts, sur pied, assis sur les genoux du bonhomme, en plan large, américain, en horizontal ou vertical, selon. Tous, à peu près, nous avons côtoyé le père Noel, en divers états, ébloui, ému, apeuré, dans le cadre familial, dans une grande surface, partout où il apparut, par destination ou par surprise. On cotise à Noel comme on cotise à ses rides, Noel du passé jamais dépassé ! Avant l’ère informatique, je vous parle du temps du papier, que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaitre, de tous les clichés exhumés d’un album ou d’une boîte à chaussures, c’était souvent le plus racorni, le plus jauni à force d’avoir été tripoté, quand sous cadre, il ne triomphait pas sur le bahut familial entre la douille d’obus du grand-père en 14 et le bouquet de fleurs séchées – indiscutable apanage d’une famille qui se respectait.
Focus sur ces pères Noel qui, sous le masque idoine, la capuche et la barbe en coton, trahissent par un regard, toujours révélateur, une bonne dose de supercherie, d’égarement, voire de dangerosité. Une raison à cela, le père Noel commercial descendant d’un casting hasardeux, est un saisonnier du bonheur sur commande au service d’un mensonge double – mais beau -, celui d’une légende arrangée au fil des siècles dans la peau d’un figurant auquel on assigne, ce jour, d’être une vedette. En famille, il échoit régulièrement, à un oncle, à un cousin adulte embusqué, à un voisin disponible, à un vieil enfant qui n’aurait pas forcément bien tourné – il y aurait eu un Gosse Noel que cette modération eut été superflue mais toujours les adultes ont le dernier mot. Pourtant, il y a des images plus fortes que les mots, images réunies au gré de mille déambulations, anonymes et crues de vérité, images à décrypter qui s’exonèrent… de légendes.


J’ai toujours cru à Noel, et encore. En revanche, beaucoup, moins, et très vite à son messager. Finalement, ce qu’on pourrait reprocher le plus au Père Noël, c’est d’être un homme comme les autres.


Pour preuve, voici un livre à voir, tournez la page.


Jean-Marie Donat.